Le début de toute chose...

Invité

La saturation de l'air en excitation et nervosité cumulait déjà depuis quelques minutes, depuis que la majeure partie de l'équipe de reconnaissance était revenue. La bonne douzaine de mage que nous étions attendait depuis le signal qui nous pousserait à nous élancer à travers les arbres, traverser les quelques centaines de mètres qui nous séparaient de notre cible et à fondre dessus comme une volée de moineaux sur un quignon de pains, pour ne rien n'en laisser. Pas même une miette. En ce sens, nous serons plus des vautours que d'innocents oiseaux de champs. Des charognards, à se nourrir de carcasses. Mais cette guilde noire, l'objet de notre convoitise, ne méritait même pas d'être considérée comme un cadavre.

Aucun mot ne flottait entre nous. Nous avions répété nos plans jusqu'à les connaître au-delà du par-coeur, alors qu'ils avaient été plus que minutieusement préparé. Aujourd'hui, Amnésia faisait d'une pierre deux coups : non seulement allions-nous mettre fin aux agissements d'une bande de macaques aussi débiles que dangereux, mais nous allions rassembler de quoi améliorer notre propre guilde.
Pour ce faire, nous avions divisé notre petite troupe en trois groupes : les guetteurs, en charge de la surveillance des lieux avant, pendant et après notre coup, couvrant ainsi toutes nos traces – si nous étions assez mauvais pour en laisser – les combattants, qui régleraient leur compte à ses maudits mages, et enfin, les collecteurs. Ceux qui videraient la bâtisse de toutes choses utiles à Amnésia avant que la structure ne fût rasée.
Pourquoi je ne faisais pas partie du premier groupe, je l'ignorais. Mes talents auraient eu une bien meilleure utilité, moi qui excellait dans tout ce que avait rapport à l'infiltration. Mais tout cela était au-dessus de moi : un mage de rang supérieur avait décidé, tout comme il avait décidé d'améliorer notre guilde. Personnellement, je trouvais que c'était une assez mauvaise idée. Tout comme notre maître, je ne voyais pas l'avantage à s'attacher à un endroit : c'est être plus facilement localisable et traqué. Et le sentiment de possession entraîne forcément celui opposé de destruction, et pourquoi donner aux ennemis un point faible sur lequel nous frapper ? Aucune idée.

Le signal avait été donné, et l'assaut donné. En l'espace de quelques minutes, l'intégralité des issues était bloquée, empêchant toute évasion ou aider extérieure intempestive. Le mot clé de cette mission était la discrétion. Personne ne devait nous voir, autant chez les ennemis que chez les péquins du coin. Amnésia n'était pas prête à se révéler au grand jour. Ne sera-t-elle jamais ? Tant que la mage sera pratiquée, il existera des âmes assez cupides ou imbéciles pour chercher à outrepasser ses droits, à vouloir abuser de ses pouvoirs et à vouloir tenter ce qui n'est pas du domaine du possiblement morale. J'avais par exemple, une sainte horreur des nécromanciens, qui détournaient l'usage de la Seith Magic avec leur pratique dégoûtante. Et tant que ces personnes là continueraient de naître, le monde aura besoin d'un instrument pour les combattre. Aussi impur et tortueux que les cibles, un feu pour en combattre un autre. L'ironie de la situation m'amusait grandement.

J'étais désormais entrée dans la guilde, un bâtiment de pierre et de bois et me trouvais dans les couloirs entre cuisine, blanchisserie et aire de stockage. Des bruits de combats me parvenaient depuis ce qui semblait être la grande salle. Je grimaçais. Nous étions censés nous infiltrer et attaquer tous en même temps, en furtif. Apparemment, le plan avait échoué. Mais je ne voyais pas de raison à ne pas suivre mes propres ordres à la lettre.
Je devais fouiller la cage, laissant les étages à d'autres. A pas de loups je me dirigeai vers les escaliers descendant vers la pénombre de l'entresol, persuadée à moitié de n'y rencontrer personne, vu que la cave n'est jamais un endroit bien reposant ou glamour. Mal m'en pris. A croire qu'il y a toujours un trio d'ivrognes dans toute bande de crétins malodorants criminels. Une sorte de prérequis, comme le monologue du chef et la mascotte animale louche.
Le degré d'alcool et le manque de visibilité me permirent de compenser ce manque flagrant d'humilité de ma part. Je commençais par frapper le premier à répétition avec mon épée, le forçant à utiliser la lame qui pendait à ses hanches pour parer mes coups. Puisqu'il était indéniablement plus puissant que moi – comme si cela était une chose étonnante... - il ne lui fallut qu'un instant pour m'acculer contre le mur. Exactement ce que je voulais. Au moment où il porta son estoque finale, je lançais mon sort, laissant mon corps tomber à terre comme frappée par l'épée du gros lourdaud... m'emparant de son esprit par la même occasion.

C'est assez déconcertant, que de se retrouver chez autrui. Même avec des années de pratique, les premières secondes sont toujours déroutantes. Ce n'était pas le même centre de gravité, la même allonge, la même carrure. Mais cela ne m'empêcha pas d'utiliser cette masse pour m'en prendre aux deux autres gars, qui ne comprirent pas pourquoi leur copain soudainement les massacrait. Littéralement. L'un d'eux succomba rapidement, et l'angle que faisait son épaule avec son corps, et son coude avec son bras.... j'aurais été fière de moi si cela n'avait pas été aussi de trop cruel. Je n'aimais pas tuer, mais nous n'avions pas le choix. Au moins essayais-je de faire ça le plus rapidement et proprement possible. En effet si nous devions attendre après les guildes officielles et le Conseil Magique pour que justice fut faite....
Le troisième et dernier larron dut recourir à sa magie et ses capacités pour ne pas finir comme le précédent. Nous échangeâmes quelques coups, nous tournant l'un autour de l'autre, comme deux fauves avant l'assaut décisif.

Ce que ça peut être bête, un mage noir. Au moment où il se retrouva à la position escomptée, je bondis hors du criminel, reprenant mes esprits, plongeant ma lame dans le dos du gars qui ne s'y attendait pas. Et je continuai sur ma lancée, profitant de l'instant de flottement subi après chaque libération, pour mettre à terre le premier et dernier du trio.

Il ne me restait plus qu'à ouvrir les portes de la cave et faire le tri entre les sacs et boites, tonneaux et étagères, faisant signe à l'équipe combattante de venir m'aider à transporter nos prises. La liste de courses avait été clairement établie et il n'y avait pas de place pour le hasard ou le surplus.
Moins de dix minutes plus tard, nous étions tous sortis, un de mes collègues faisait écrouler la maison sur ses fondations, pendant qu'une seconde utilisait sa magie des plantes pour faire pousser un chêne multidécénal par dessus, rajoutant des fleurs et des buissons par la même occasion.

Le dernier coup d’œil par dessus mon épaule me tomba la vision d'un lieu déjà envahi par les papillons et les oiseaux, nimbée d'une lumière nouvelle. J'y jetais le noyau de l'abricot que je mâchonnais. Qui sait, dans dix ans, il y aura là un autre arbre pour tenir compagnie au seul témoin vivant du passé peu glorieux de ce coin anonyme du monde....